La gare du Nord ferme ses portes à minuit, la gare Saint-Lazare aussi. Toutes les gares de Paris sont fermées la nuit. Il sait bien qu’il ne peut espérer y dormir. Dans ce pays toutes les gares sont fermées la nuit. Pour rester au chaud, il est resté le plus longtemps possible dans ce Mac Do bruyant, rue de Dunkerque. Deux heures au moins. Deux heures dans un Mac Do, c’est long lorsqu’on est seul et que l’on a fini d’engloutir son cheeseburger trop sec et ses frites à peine tièdes. Il fait mine de regarder les autres clients et de s’intéresser à leur conversation. Mais en fait il ne voit rien, n’entend rien. Il est obnubilé par une seule idée : trouver un endroit pour dormir quelques heures à l’abri du froid de ce mois de décembre.
Il n’a plus assez de fric pour se payer une chambre d’hôtel, même minable, et il s’interdit d’aller frapper à la porte des deux ou trois vagues connaissances qu’il a encore dans cette capitale sans pitié. Il a tellement souvent demandé de l’aide, quémandé quelques billets (« je te rembourse dans un mois, promis ! »), supplié qu’on lui permette de dormir sur un canapé, qu’il n’en peut plus. Il lui reste encore un peu de fierté. Ce soir, il le sait, ce sera la rue.
Tous les mois, il doit séjourner une semaine à Paris pour suivre cette foutue formation qui, parait-il, lui permettra de retrouver un emploi. Il vient en stop. Rennes-Paris. Cinq heures de trajet, parfois six, parfois beaucoup plus. Il part de Rennes vers 22 heures le dimanche soir afin d’être à pied d’oeuvre à Paris le lundi matin et d’économiser une nuit parisienne. Pas franchement frais et dispo, mais c’est sans importance. Souvent ce sont des routiers qui acceptent de le prendre. C’est devenu rare les stoppeurs de nos jours. Les routiers aiment bien qu’on leur parle, qu’on leur raconte des histoires ou que l’on rit de leurs blagues. Alors, son histoire, il la raconte. Elle n’est pas bien drôle. Il est dans la mouise, voilà tout. Comme il a une bonne bouille, les types lui offrent souvent un café ou une bière.
Il se décide à quitter le Mac Do. Il est un peu plus de 23 heures. Traverser la Gare du Nord, remonter le long couloir qui mène à la ligne 2. Métro La Chapelle. Direction Porte Dauphine. Descendre à Ternes ou à Courcelles. Là, il le sait, il trouvera. Bizarrement les gens se méfient moins dans les quartiers chics. Après trois ou quatre essais, la portière d’une 605 s’ouvre sans faire la difficile. Il jette son sac sur la banquette arrière et s’installe. Si tout se passe bien, il pourra dormir quatre ou cinq heures. Ensuite, retour à la Gare du Nord. Rasage et brossage des dents dans les toilettes. Un petit café, puis tuer le temps jusqu’à l’ouverture du centre de formation à deux pas. Ce soir, il tentera sa chance dans une entrée d’immeuble qu’il a repérée depuis un moment. Encore deux nuits et il pourra rentrer à Rennes. En stop.