Archives mensuelles : mars 2020

Le livre, les librairies, pour entrer en résistance

 

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Librairie Place Ronde, à Lille. Au fond, Fabienne Van Hulle avec Bernard Plossu

Epidémie oblige, voilà donc nos enfants et nos aînés priés de rester à la maison jusqu’à nouvel ordre. Toute la population suivra peut-être bientôt le même chemin, comme en Italie. Nous verrons bien. Cette situation nous permettra de tester nos capacités d’adaptation. Dans ce contexte, le livre et les librairies sont des armes extraordinaires pour entrer en résistance.

A Sarajevo, Francis Bueb, le fondateur et directeur du Centre culturel André Malraux, était entré, avec quelques amis, en 1994, dans la ville assiégée parce qu’il voulait apporter de la culture aux habitants piégés par les troupes de Milosevic, Mladic, Karadzic. A ces gens qui manquaient de produits alimentaires de base, qui manquaient de liberté, qui vivaient dans l’insécurité permanente, ce fou génial voulait mettre des livres à leur disposition pour les aider à survivre. Il a ainsi créé une librairie qui, compte tenu du contexte, fonctionnait comme une bibliothèque. Elle est devenue ensuite un véritable et extraordinaire centre culturel. C’est cette histoire hors du commun, dont j’ai eu la chance d’être un peu le témoin, qui me conduit aujourd’hui à m’intéresser au sort des librairies autour de moi.

A Lille, je suis heureux d’avoir assisté à la fondation, en avril 2018, de la librairie Place Ronde. Il faut sans doute être fou pour créer une librairie. Ou folle, comme Fabienne Van Hulle qui a transformé un ancien hôtel particulier pour y installer sa superbe librairie. Depuis, Place Ronde a fait son chemin. Elle s’est installée dans le paysage lillois et, régulièrement citée dans les médias régionaux et nationaux, elle propose un choix de livres de grande qualité, y compris un des meilleurs rayons de livres de la région consacrés à la photo. Place Ronde s’est aussi imposée comme un espace culturel où l’on vient rencontrer des auteurs dans de bonnes conditions pour dialoguer, débattre. Enfin, la librairie dispose d’une galerie où exposent régulièrement des photographes. Par exemple, le mois dernier, c’est l’immense Bernard Plossu qui est venu accrocher ses tirages.

On pourrait, bien sûr, citer beaucoup d’autres exemples. Nous avons certainement tous une librairie de coeur. Celle où nous aimons nous réfugier, nous abriter, en temps normal, mais aussi par gros temps. Alors, c’est le moment de faire passer le message : les stocks de pâtes pourquoi pas, mais les livres aussi nous aident à vivre, à nous évader, à résister !

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Centre culturel André Malraux, à Sarajevo en 2001. Francis Bueb avec Patrice Chéreau

 

Je n’irai pas cracher sur vos comptes

La soirée des César 2020 aura, pour moi, été révélatrice de ce que je ne supporte plus sur les réseaux sociaux et tout particulièrement sur Twitter où, on le sait, les discours haineux rythment le quotidien.

Pour cette raison, je quitte Twitter. Ce n’est pas une information essentielle. Mon compte affiche à peine 2000 abonné(e)s. Ma décision ne fera pas vaciller la communauté des « twittos ». Je ne suis pas un cheval génial. Je ne suis même pas cet « homme sans qualités » magnifiquement peint par Robert Musil. Mais je vous livre quand même deux ou trois éléments supplémentaires pour éclairer mon choix. Libre à vous, ensuite, de commenter, d’insulter, de cracher, comme c’est désormais la règle.

Donc, ces César 2020 auront été le détonateur. Pour moi, Roman Polanski est un grand, un très grand cinéaste et je considère que les César ont pour fonction de juger, de récompenser le cinéma. Que Polanski (comme Matzneff, entre autres) se soit conduit en délinquant sexuel, ne doit pas nous aveugler au point de ne pas être capables d’évaluer ses films. Pour les crimes qu’il a commis, Polanski relève de la justice pénale. Pas du tribunal populaire qu’est devenu Twitter.

Je comprends la colère et la réaction d’Adèle Haenel. Je comprends beaucoup moins – je n’admets pas pour tout dire – l’exploitation outrancière que certains et certaines en ont fait. Le texte de Virginie Despentes aura, dans le genre, dépassé toutes les bornes.

Si je quitte Twitter, c’est parce que compte tenu de ce que j’ai lu pendant quelques heures, bon nombre des comptes (et donc des personnes) auxquels je suis abonné, ont publié sur tout cela des commentaires, des points de vue, avec lesquels je me sentais en profond désaccord. Dans certains cas, j’ai même été surpris. On croit connaître un peu les gens, mais on se trompe parfois. Fallait-il leur répondre ? Fallait-il contester leur opinion ? C’est ici que tout se brouille. Un débat serein est de moins en moins possible sur Twitter. Un commentaire alimente vite une première insulte, puis une deuxième et une armée de trolls s’en donne à cœur joie. Fallait-il « unfollower » les comptes qui m’irritent? J’ai commencé à le faire, je l’avoue. C’est facile. En un clic, on élimine le gêneur ou la gêneuse de son champ de vision. Mais c’est justement trop facile et surtout cela me semble ridicule. Je ne crois pas au monde des bisounours où nous serions tous et tout le temps d’accord sur tout. Je n’ai pas envie non plus de devoir me contenter de publier des tweets avec des photos de chats. En cela, je ne crois pas à la méthode, conseillée par certains, qui consisterait à ne suivre que des comptes « positifs » et faire ensuite confiance à l’algorithme du réseau social.

La seule bonne solution, à mes yeux en tout cas, est de partir. Après tout, la vraie vie est ailleurs et les terrains de jeux, comme les champs de bataille, ne manquent pas.

Comme nous sommes ici sur mon modeste blog et pas sur Twitter, je ne cite personne, je ne nomme aucun compte en particulier. Chacun, chacune, se reconnaîtra… ou pas, et peu importe. Chacun, chacune, m’en voudra peut-être. Celles et ceux qui veulent garder contact savent comment me joindre.

Portez-vous bien !

– Additif au 8 mars 2020 : finalement, après quelques jours de pause, j’ai décidé de revenir sur Twitter, sans illusions toutefois. Après onze ans de présence sur ce réseau, je suis sans doute devenu trop dépendant. Je veux pouvoir continuer à ajouter mon grain de sel, à lire celles et ceux qui partagent des informations et des points de vue intéressants. Pour le reste, j’essaierai de garder mes distances. Je suis aussi curieux de voir comment cette bulle va évoluer. J’attends la suite…