Archives mensuelles : septembre 2020

Mes journées à Saint-Germain-des-Prés

Café Les Deux Magots – photo © Marc Capelle

Avec la mort de Juliette Gréco – « l’icône de Saint-Germain-des- Prés » titre la presse – quelques images enfouies depuis longtemps ont refait surface. J’avais en quelque sorte oublié que j’étais souvent allé à Saint-Germain-des-Prés. Pendant quelques années, je suis descendu chaque jour à la station du même nom, sur la ligne 4 du métro. Je jetais un oeil à l’église homonyme, puis je remontais le boulevard Saint-Germain pour me rendre à mon travail, dans l’une des directions du ministère des Affaires étrangères.

Je passais devant Les deux Magots puis devant Le Flore. Je suis rarement entré dans ces deux cafés. Je savais ce qu’ils représentaient, ou plutôt ce qu’ils avaient représenté, dans le milieu intellectuel parisien et dans notre imaginaire collectif, mais je n’étais pas de ce monde là. Assis devant mon expresso au Flore, j’avais l’impression d’être un touriste et je me détestais. Un jour, je me suis rendu compte que Sting était en train de papoter avec je ne sais qui à la table d’à côté. D’autres fois, j’ai reconnu ici un ministre, là un éditeur ou un écrivain… Mais je n’avais pas envie d’entamer une collection d’autographes. Aussi, je m’arrêtais plus volontiers au café Le Rouquet, (ne pas confondre avec Le Fouquet’s qui n’est pas du tout dans le même quartier) un peu plus loin sur le boulevard et tout proche de mon bureau.

La littérature, la presse, ont abondamment raconté les folles nuits de Saint-Germain-des-Prés. Moi, je n’y ai vécu que des journées. Je peux même dire des journées bien sages. J’étais parfois invité à déjeuner Aux Ministères, ou à une réception à la maison de l’Amérique latine, mais j’avais plutôt mes habitudes dans un petit salon de thé de la rue du Bac ou à la cantine du ministère. Sonia Rykel vivait encore et il n’était pas rare de la croiser dans la rue.

C’était certainement une chance, un privilège même, de se trouver là, de travailler là, chaque jour. Pourtant, je ne me suis pas senti à l’aise dans cet écrin du Paris historique. Jamais je n’ai autant ressenti la tyrannie des apparences que sur ces trottoirs, dans ces salons feutrés, ces magasins de luxe. Il y avait dans l’air une futilité qui me dérangeait. J’ai fréquenté le quartier pendant trois ans mais j’avais conscience de n’être là que de passage. Jamais je ne me suis senti parisien et jamais je n’ai eu envie de le devenir. On me dira peut-être que je suis passé à côté de la magie de Saint-Germain-des-Prés, mais j’ai vécu ces années comme un entre-deux. Un entre deux mondes, je crois.

« Il n’y a plus d’après

À Saint-Germain-des-Prés

Plus d’après-demain, plus d’après-midi

Il n’y a qu’aujourd’hui

Quand je te reverrai

À Saint-Germain-des-Prés

Ce ne sera plus toi

Ce ne sera plus moi :

Il n’y a plus d’autrefois »

(chanson de Guy Béart, interprétée par Juliette Gréco)

L’écriture efficace, ce piège

Il y a quelques semaines, un ami m’a envoyé quelques commentaires à propos de mon dernier livre, Terminus Budapest. « L’écriture est redoutablement efficace« , écrit-il, voulant certainement m’être agréable. En l’occurrence, il m’a surtout aidé à me remettre en question. Cette fameuse « écriture efficace », je la connais, ou j’en connais en tout cas une des formes les plus répandues. Il s’agit de cette écriture journalistique, enseignée par mes maîtres et à laquelle j’ai, à mon tour, essayé d’initier des étudiants, en France, en Roumanie, en Bulgarie… « Ne faites pas de littérature« . « Faites des phrases courtes : sujet, verbe, complément« . « Vous n’écrivez pas pour vous faire plaisir, vous écrivez pour votre lecteur« . « Une idée, un paragraphe« , « Si vous écrivez, c’est pour être lu« …

Je ne vais pas reprendre ici le détail de ces techniques. Elles ont fait et elles font encore leurs preuves tous les jours pour qui veut bien les respecter. Mais on ne lit pas un roman comme on lit un journal. J’ai certainement eu tort de l’oublier. Mon dernier roman se lit – il se lit même bien si j’en crois les avis de plusieurs lecteurs – mais il gagnerait à être plus riche en couleurs, en pas de côté, en hésitations, en chemins tortueux, en plongées vers d’obscures profondeurs, qui entraineraient certainement le lecteur plus loin. D’une certaine façon j’ai hésité à laisser courir ma plume. Une petite voix intérieure me soufflait « écriture efficace » et me freinait dans mon élan. Je me suis ainsi enfermé dans cette forme d’écriture pratiquée et enseignée pendant des années. Je vais devoir y remédier.

Bien des journalistes sont parfaitement capables de faire la part des choses entre les articles qu’ils doivent rédiger et les manuscrits de leurs romans. Je pense à Robert Solé, par exemple, revu à Lille avant le confinement (vous avez remarqué comme « l’avant et l’après confinement » est en passe de remplacer « l’avant et l’après-guerre » ?). Mais on pourrait aussi parler de Lucien Bodard, de Sorj Chalandon, de tant d’autres.

Bref, il me faut travailler encore et c’est une belle perspective.

Pour en terminer avec la rentrée littéraire

Avez-vous déjà acheté un livre parce qu’il figurait au palmarès de la rentrée littéraire ? Personnellement, jamais. Pas une fois. On m’a parfois offert certains de ces livres parus en septembre et dont les titres circulaient déjà depuis juin ou juillet. Mais je n’ai jamais eu envie d’en acheter un moi-même au moment de la « rentrée ». Si j’ai fini par me laisser tenter par l’un ou l’autre d’entre eux, c’est généralement des mois voire des années plus tard.

Plus le temps passe, plus ce concept de « rentrée littéraire » m’exaspère. 

J’ai commencé à m’intéresser au monde des livres il y a une vingtaine d’années. Jusque-là, j’étais simplement lecteur (et c’est déjà très bien d’être lecteur !). J’ai eu la chance de rencontrer puis de partager bien des moments avec Francis Bueb, ancien de la Fnac et fondateur du Centre culturel André Malraux, à Sarajevo. Entre deux nuages de fumée de cigarette, il m’a montré, parfois sans le savoir, la face cachée des livres, des éditeurs, des auteurs (certains d’entre eux). Par la suite, je suis devenu auteur à mon tour. J’ai ainsi eu des discussions extrêmement enrichissantes avec des éditeurs (les éditions Riveneuve, Michalon et Fauves en particulier, mais d’autres aussi). Enfin, j’ai regardé d’un peu plus près comment fonctionnait l’univers des librairies (la librairie Place Ronde à Lille en priorité, mais d’autres aussi). N’oublions pas les échanges sur les réseaux sociaux avec quelques acteurs de la sphère littéraire et bien des commérages avec des ami(e)s passionné(e)s par le sujet.

C’est, à n’en pas douter, ce petit tour du monde des livres qui m’a convaincu qu’il faudrait jeter la « rentrée littéraire » aux orties, si l’on veut assainir et calmer cet univers où les coups bas sont largement aussi nombreux que les coups de coeur.

« Ah, malheureux ! Ne touche pas au grisbi !« . J’entends déjà les grincements de dents. C’est que la « rentrée littéraire » est une industrie. Elle fait vivre (très bien, un peu, ou très mal, selon les cas) les professionnels du livre. Les médias participent largement à cette grand-messe. Heureusement, certains d’entre eux apportent de temps en temps un éclairage sur l’économie parfois surprenante de ce système. Mais qui s’en soucie ?

Mais, justement, il serait temps de nous laisser un peu tranquilles. « Nous », les lecteurs, les clients, les citoyens. Nous laisser choisir ce que nous voulons lire tout au long de l’année, sans être conditionnés par la pression de La Rentrée. Foutez-nous donc la paix !

Le chantier est énorme tant l’idée même de « rentrée », littéraire ou autre, pèse sur la vie des Français. Mais ne serait-il pas temps d’essayer de vivre – et de lire – autrement ?

Illustration repérée par la libraire de Place Ronde, à Lille. Une libraire qui ne manque ni d’arguments, ni d’humour !