
Il m’aura fallu un peu de temps – un peu de travail sur moi-même ? – pour parvenir à formuler une idée toute simple : j’écris des livres de série B. En effet, pourquoi ne pas utiliser pour les livres cette classification habituellement réservée aux films ? Evidemment, si vous traduisez « série B » par « film de piètre qualité », vous allez (peut-être!) m’implorer de mettre fin à cet exercice de détestation. Mais il ne s’agit pas de cela. Je ne suis pas encore masochiste à ce point. Je rappelle donc que les films dits « de série B » étaient à l’origine des films tournés avec de petits moyens. Certains étaient très bons, d’autres mauvais. Mais, surtout, ils n’étaient pas toujours projetés dans les salles plutôt réservées aux films de série A et ils bénéficiaient d’une promotion moins importante que les « grands films ».
Quel rapport avec le livre ? Bien entendu l’économie de la production d’un livre a peu de rapport avec celle d’un film. Mais, si par moyens on prend en compte le temps consacré à l’écriture d’un roman ou d’un récit, la comparaison peut faire sens. Ainsi, j’ai conscience d’avoir, jusqu’à présent, écrit mes livres rapidement, peut-être trop rapidement pour certains. Si j’ajoute des maisons d’édition de taille modeste – comme le sont la plupart d’entre elles – et une distribution parfois laborieuse qui a peu à voir avec l’exposition dont bénéficient les têtes de gondoles de la littérature, le qualificatif de « série B » prend tout son sens.
Rêvons deux minutes. 2025. Je bénéficie d’un budget qui me permet de travailler pendant deux ans à l’écriture d’un roman tout en subsistant à mes besoins. L’éditeur qui a pris le risque d’investir sur mon nom, s’engage aussi à financer un tour de France qui m’autorise à aller de librairie en librairie pour présenter et dédicacer mon livre. Des moyens importants en relation presse me donnent accès, bien plus qu’auparavant, aux plateaux de télévision, aux studios de radio, aux colonnes des journaux. Avec ce livre écrit, édité, distribué, avec un budget sérieux, j’entre ainsi dans la grande cour des auteurs de « série A ». Mon roman est-il pour autant de qualité ?
Retour à la réalité. La majorité des livres de « série A » sont écrits dans des conditions difficiles, laborieuses, par des auteurs qui doivent faire autre chose pour vivre. Un boulot parfois sans rapport avec l’écriture. On pourra s’en réjouir en se disant que cette reconnaissance, au bout du chemin, récompense de longs et gros efforts. On peut se dire aussi que l’auteur, l’écrivain, reste (et souvent très longtemps, voire toujours) un amateur. Les professionnels – celles et ceux qui vivent uniquement de leur plume – font exception à la règle. C’est sans doute ici que la comparaison avec l’industrie du cinéma s’arrête. Donc il y a de fortes chances pour que, si je reste à l’affiche, ce soit en « Série B ». Et ce ne sera pas un drame !