Archives mensuelles : septembre 2021

Roumanie, années 1990

La Roumanie aura été, à partir de 1990, ma porte d’entrée vers l’Est de l’Europe. Sur ces images prises entre 1990 et 1997 : le buste de Lénine, couché contre un mur, en lisière de Bucarest, après son déboulonnage en décembre 1989 ; l’impressionnant bâtiment Casa Scînteii (La Maison de L’Etincelle), rebaptisé Maison de la Presse Libre après la chute du régime Ceausescu ; un train au sud de Bucarest, avec (qui sait ?) le vélo du conducteur pour rentrer chez lui ; un vieil homme dans un café de Tulcea, à l’entrée du delta du Danube ; la Calea Victoriei, une des principales artères de Bucarest.

Eternité de Sarajevo

J’ai découvert Sarajevo en mai 1996, quelques mois après la fin de la guerre et du siège qui ont définitivement marqué l’histoire de la ville. Les traces des combats étaient encore bien présentes sur les murs, dans les têtes et dans les coeurs. Je suis retourné ensuite chaque année, à Sarajevo, une ou deux fois par an pour des courts séjours. En 2000, je me suis installé sur place pour trois ans. Dire que la cité est attachante est faible. Les images, les parcours des hommes, des femmes et des enfants rencontrés là-bas vont continuer de m’accompagner. Comme ailleurs, mais plus qu’ailleurs, les vivants et les morts sont ici partout présents, et c’est pourquoi à tout jamais Sarajevo restera un symbole et une référence.

En une phrase, Ivo Andric (prix Nobel de Littérature en 1961) a résumé ce que l’on peut ressentir lorsque l’on contemple cette ville, tapie au fond de sa trop fameuse cuvette : « Quelle que soit l’heure du jour, quel que soit le lieu, quand vous regardez Sarajevo étendu à vos pieds, la même pensée surgit toujours, même inconsciente. Une ville est là. Une ville qui, en même temps, se transforme, agonise et renaît’’. (Contes de la solitude)

Le Vietnam, si loin, si proche

Une photo ? Dix photos ? Cent photos ne suffiraient sans doute pas à illustrer ce que le Vietnam représente pour moi, à titre professionnel, mais aussi à titre personnel. J’ai consacré un livre à ce dernier point, Quand tu iras à Saigon.

J’observe aujourd’hui avec intérêt le recentrage du monde qui s’opère vers l’Asie, vers l’Indo-Pacifique. J’ai appris beaucoup de choses là-bas et rester connecté à ce qui passe au loin est devenu une gymnastique quotidienne. D’autant que le lointain est parfois très proche.

Ma vie d’agent secret

Décembre 1990, ou peut-être janvier 1991. A Giurgiu, à soixante kilomètres au sud de Bucarest, le Danube marque la frontière. De ce côté, c’est la Roumanie. En face, on aperçoit la petite ville de Ruse (ou Roussé), en Bulgarie. Avec un ami, d’un coup de voiture, nous sommes venus repérer les lieux. Nous vivons en Roumanie depuis quelques mois et, petit à petit, nous explorons notre environnement. Il fait très froid. Moins dix, moins quinze. L’hiver à l’Est. Après avoir garé la Lada Niva le long du Danube, nous sortons prendre l’air. Vêtus tous les deux d’épais blousons noirs taillés dans un cuir grossier, nous sommes aisément repérables. A cet endroit, le Danube immense et calme, est surveillé en permanence. Au bout de quelques minutes, une voiture de police s’avance vers nous. En sortent deux flics, en uniforme grisâtre. Alors que nous essayons de respirer l’air bulgare, ils nous observent un moment, puis se décident à nous rejoindre. L’un d’eux nous pose une question et nous nous efforçons de ne pas éclater de rire. Notre roumain est encore balbutiant, mais nous avons bien compris qu’avec nos mines de conspirateurs et notre accoutrement, ils nous prennent pour des collègues ! Nous n’essayons pas de jouer aux plus malins et leur avouons que nous sommes des étrangers en vadrouille. Du coup, vérification des pièces d’identité assortie d’une recommandation : ne pas rester là trop longtemps.

Cette petite anecdote marque en quelque sorte mon entrée dans un monde du secret dont j’ignorais jusque-là à peu près tout.

A l’époque, héritage communiste oblige, un étranger qui s’installait dans un pays de l’Est était facilement soupçonné d’être un espion. Aussi, on m’a régulièrement, et assez naïvement, posé la question. « En fait, tu travailles pour les services secrets, n’est-ce-pas ? ». J’ai assez rapidement choisi de ne pas vraiment répondre. Après tout, si je disais « non », pourquoi m’aurait-on cru ? Et pouvais-je sérieusement dire « oui, bien sûr ! » ?

Les années ont passé et bon nombre de mes interlocuteurs ont, volontairement ou pas, alimenté ma légende. Avoir travaillé pendant trois ans avec quelqu’un qui est devenu par la suite patron de la DGSE (Bernard Bajolet) aura, pour certains, constitué une preuve évidente de mon double jeu.

Dans ma propre famille, j’ai constaté que l’on s’interrogeait parfois à mon propos. Avoir publié, en 2020, Terminus Budapest, un roman aux frontières de la diplomatie et du renseignement, a bien sûr aggravé mon cas. Lors de la parution du livre, sur l’antenne d’une radio, une journaliste m’a, elle aussi, demandé si j’avais travaillé « pour les services ». « Pas à ma connaissance » aura été, ce jour-là, ma réponse, histoire de souligner que l’on peut livrer des informations sans le savoir. Plus récemment, sur Twitter, un auteur de polars m’a envoyé un message privé pour me faire remarquer que « mon parcours pourrait suggérer que [j’ai] fait du renseignement ». 

Alors, dans tout cela, où est la vérité ? Quelle est la réalité ? Je vous laisse vous faire votre propre idée, mais dites vous aussi que si vous ne savez pas, c’est peut-être simplement parce que vous n’avez pas à en connaître…