Archives mensuelles : octobre 2022

La réunion de service

La réunion de service a lieu tous les mardis à 8 heures tapantes. A 8 heures moins cinq nous sommes déjà au complet, assis autour de la table et nous l’attendons. A 8 heures, la porte s’ouvre et l’ambassadeur fait son entrée. Tout le monde se lève. Nous sommes une dizaine, presque au garde à vous, regards accrochés au mur d’en face. L’ambassadeur, notre seigneur et maître, a quasiment droit de vie et de mort sur nous tous. Le premier qui fera le malin est forcément un kamikaze.

« Bonjour » fait-il en s’installant en bout de table. Tout le monde s’asseoit.

« Monsieur le conseiller culturel, nous allons commencer par vous ce matin. Vous avez des choses importantes à nous dire ? ». Le pauvre gars a quelques secondes pour décider si l’envoi de cinquante étudiants en stage en France fait vraiment partie des « choses importantes ». Il décide de passer son tour. « Non, Monsieur l’ambassadeur, rien de particulier ».

L’autre, l’air faussement distrait, est en train de pianoter un texto et enchaine. « Morne plaine, comme d’habitude. Colonel, où en sommes nous avec cette vente d’hélicoptères ? ». L’attaché de défense bredouille quelques explications, fait le point sur ce dossier en forme de serpent de mer, évoqué à chaque réunion de service depuis près d’un an.

Pendant ce temps-là, le type des « services », un long bonhomme tout en nerfs, prend des notes. Après tout, c’est son boulot. Je le soupçonne depuis un bon moment d’enregistrer ces séances du mardi et de transmettre des indiscrétions à sa hiérarchie. Son job quoi.

Vient le tour du chef de la mission économique. Celui-là vise le poste de Los Angeles depuis un bon moment. Alors, il joue au premier de la classe. Des chiffres, des statistiques, des montants d’investissements et le compte rendu de la dernière visite d’une délégation de chefs d’entreprises du Limousin. Bref, il emmerde tout le monde. L’ambassadeur continue de jouer sur son téléphone. Il n’a pas désactivé le son des touches. C’est énervant. Tic, tic, tac, tac, tac…

Comme chaque mardi, le représentant de l’ambassade à l’autre bout du pays se fait passer un savon. Le bonhomme arrive chaque lundi soir, exténué après six heures de route de montagne, s’installe à l’hôtel, assiste à la réunion du mardi matin pour se faire engueuler, puis repart pour six heures de voiture. Serviteur de l’Etat et paillasson de Son Excellence. Un métier.

Il est environ 9 heures quand l’ambassadeur prend la parole. Comme chaque mardi, il rappelle qu’il faut griller les Américains, faire plus vite et plus fort qu’eux. Au passage, il évoque son dernier entretien avec le chef de l’Etat et rappelle, comme chaque mardi, que «dès maintenant, nous devons tous nous préparer à organiser une magnifique réception pour le 14 juillet ». « Et d’ailleurs, monsieur le conseiller culturel, j’attends toujours vos listes de personnalités pour les invitations ».

A 9 h 15, la réunion est terminée. Tout le monde se lève et s’efforce de rester tête baissée. Respect et soumission. L’ambassadeur se hâte vers la sortie, téléphone à l’oreille. « Ah, monsieur le ministre ! Oui, oui, bien sûr ! Avec plaisir ».

Le consul qui jusque-là n’avait rien dit, souffle un bon coup en nous regardant. « Bon, au moins aujourd’hui c’était rapide ! ».

Quand nous jouions à la guerre

Enfants des années 60, essentiellement des garçons, nous jouions souvent à la guerre. C’était bien avant les Playmobil, les aventures d’Harry Potter et les jeux vidéos. La Seconde guerre mondiale n’était pas très loin et son souvenir alimentait régulièrement les discussions familiales. Dans les magasins, des armées attendaient les gamins auxquels on offrait à Noël des troupes allemandes, américaines, anglaises… Ces petits soldats n’étaient plus en plomb, mais en plastique, ce qui mettait la section, voire la compagnie, à la portée de presque toutes les bourses.

A quatre pattes dans le salon, dans le jardin ou sur le trottoir, stratèges de dix ou douze ans, nous reconstituions le débarquement de Normandie ou les batailles de Rommel dans le désert. Nous nous soucions peu de la vérité historique que de toutes façons nous connaissions mal. L’important était d’organiser l’affrontement des bons contre les mauvais. Selon la motivation des participants, les combats pouvaient durer une heure ou quelques jours, interrompus par les heures de classe ou de sommeil.

Aujourd’hui, si les enfants aiment toujours les combats, ils jouent moins à la guerre. Ils entrent dans la peau de personnages inspirés par leurs lectures ou les séries télévisées. Ils sont chevaliers, policiers, super-héros. Ils adorent les parties de laser game. Mais, contrairement peut-être aux adultes attirés par les « wargames » sur écran, la guerre de leurs grands-parents n’alimente plus leur imagination.

Autre différence avec les années 60 : la guerre, la vraie, est présente en permanence à la télévision et sur les tablettes. Dans les pays en paix, les enfants regardent le 20 heures et voient la guerre. Selon les jours et leur âge, ils détournent le regard ou posent des questions. Contre leur gré, ils perdent sans doute ainsi un peu de leur insouciance. Ce n’était sans doute pas le cas quand ils jouaient avec leurs soldats de plastique.