La réunion de service a lieu tous les mardis à 8 heures tapantes. A 8 heures moins cinq nous sommes déjà au complet, assis autour de la table et nous l’attendons. A 8 heures, la porte s’ouvre et l’ambassadeur fait son entrée. Tout le monde se lève. Nous sommes une dizaine, presque au garde à vous, regards accrochés au mur d’en face. L’ambassadeur, notre seigneur et maître, a quasiment droit de vie et de mort sur nous tous. Le premier qui fera le malin est forcément un kamikaze.
« Bonjour » fait-il en s’installant en bout de table. Tout le monde s’asseoit.
« Monsieur le conseiller culturel, nous allons commencer par vous ce matin. Vous avez des choses importantes à nous dire ? ». Le pauvre gars a quelques secondes pour décider si l’envoi de cinquante étudiants en stage en France fait vraiment partie des « choses importantes ». Il décide de passer son tour. « Non, Monsieur l’ambassadeur, rien de particulier ».
L’autre, l’air faussement distrait, est en train de pianoter un texto et enchaine. « Morne plaine, comme d’habitude. Colonel, où en sommes nous avec cette vente d’hélicoptères ? ». L’attaché de défense bredouille quelques explications, fait le point sur ce dossier en forme de serpent de mer, évoqué à chaque réunion de service depuis près d’un an.
Pendant ce temps-là, le type des « services », un long bonhomme tout en nerfs, prend des notes. Après tout, c’est son boulot. Je le soupçonne depuis un bon moment d’enregistrer ces séances du mardi et de transmettre des indiscrétions à sa hiérarchie. Son job quoi.
Vient le tour du chef de la mission économique. Celui-là vise le poste de Los Angeles depuis un bon moment. Alors, il joue au premier de la classe. Des chiffres, des statistiques, des montants d’investissements et le compte rendu de la dernière visite d’une délégation de chefs d’entreprises du Limousin. Bref, il emmerde tout le monde. L’ambassadeur continue de jouer sur son téléphone. Il n’a pas désactivé le son des touches. C’est énervant. Tic, tic, tac, tac, tac…
Comme chaque mardi, le représentant de l’ambassade à l’autre bout du pays se fait passer un savon. Le bonhomme arrive chaque lundi soir, exténué après six heures de route de montagne, s’installe à l’hôtel, assiste à la réunion du mardi matin pour se faire engueuler, puis repart pour six heures de voiture. Serviteur de l’Etat et paillasson de Son Excellence. Un métier.
Il est environ 9 heures quand l’ambassadeur prend la parole. Comme chaque mardi, il rappelle qu’il faut griller les Américains, faire plus vite et plus fort qu’eux. Au passage, il évoque son dernier entretien avec le chef de l’Etat et rappelle, comme chaque mardi, que «dès maintenant, nous devons tous nous préparer à organiser une magnifique réception pour le 14 juillet ». « Et d’ailleurs, monsieur le conseiller culturel, j’attends toujours vos listes de personnalités pour les invitations ».
A 9 h 15, la réunion est terminée. Tout le monde se lève et s’efforce de rester tête baissée. Respect et soumission. L’ambassadeur se hâte vers la sortie, téléphone à l’oreille. « Ah, monsieur le ministre ! Oui, oui, bien sûr ! Avec plaisir ».
Le consul qui jusque-là n’avait rien dit, souffle un bon coup en nous regardant. « Bon, au moins aujourd’hui c’était rapide ! ».