Je n’ai plus rien à vous dire

Un matin, il s’est retrouvé comme tous les matins devant son écran. Mais ce matin là, c’était un matin spécial. Les autres matins il savait pourquoi il était devant son écran. Comme bien d’autres – enseignants, universitaires, avocats, adjoints au maire, journalistes, artistes…. – son boulot consistait à s’exprimer et donc à écrire de temps en temps quelque chose. Il publiait ensuite ce petit quelque chose sur « le Net » et en particulier sur les réseaux sociaux. C’était sans doute un progrès car il avait connu l’époque où les réseaux sociaux et les écrans n’existaient pas. Les scribes couchaient alors leurs réflexions dans des rapports interminables ou dans des revues que personne ne lisait.

Et puis, est venu ce matin où tout a changé car il n’avait plus d’obligation professionnelle de publier quoique ce soit. Ce jour-là, pour la première fois, il s’est demandé ce qu’il faisait devant son écran. Il a néanmoins tenté de surmonter son inquiétude. Par habitude, il a continué à écrire. Il se disait qu’il lui fallait entretenir son image numérique et qu’être en ligne, c’était exister encore un peu. Il était vaguement persuadé de pouvoir encore produire quelque chose qui méritait d’être lu. Alors, il a maintenu une présence sur Facebook, sur Twitter, sur Instagram (où l’on écrit avec des photos). Mais assez vite, il a constaté que sa petite place dans cet univers virtuel n’était plus la même qu’auparavant. Il n’était plus « en situation », comme disent les commentateurs accrédités. Ainsi, s’il questionnait publiquement tel ou tel expert sur un sujet d’actualité internationale ou de société, il n’obtenait par forcément de réponse. D’une manière générale, ses messages, ses posts, ses tweets, ne retenaient plus l’attention que de quelques personnes, d’anciens collègues souvent. On l’ignorait. Il était démonétisé.

Il lui avait fallu un bon moment – quelques années à vrai dire – pour accepter cet effacement progressif mais inéluctable. D’acteur il était devenu observateur. Il ne faisait plus partie de « ceux qui en sont ». C’était comme ça.

Il restait néanmoins fidèle à son rendez-vous matinal avec son écran. Aussi, un matin, avant de sortir pour affronter le vrai monde, il se décida à envoyer sur tous les réseaux le message qu’il ruminait depuis la veille.

« Je n’ai plus rien à vous dire ».

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