
Clap de fin pour Jean-Luc Godard, « l’enfant terrible du cinéma » pour reprendre un vieux cliché. J’avais eu la chance de passer un peu de temps avec lui en 2003, à Sarajevo. Avec son équipe, il s’était installé dans la capitale de la Bosnie-Herzégovine pour tourner « Notre musique », film porté à l’écran en 2004.
Pendant le siège de la ville (1992-1995) et plusieurs années après la guerre, Sarajevo a attiré des artistes, des écrivains, des intellectuels, venus du monde entier. Certains, peu nombreux, venaient surtout soigner leur image et leur communication, mais la plupart avaient besoin de voir la ville et voulaient témoigner leur solidarité avec les habitants. Godard est venu avec un projet : tourner à Sarajevo un film sur le devoir de mémoire, indispensable pour lutter contre la barbarie.
« Pourquoi Sarajevo… parce que la Palestine et que j’habite Tel Aviv. Je souhaite voir un endroit où une réconciliation semble possible…« . Une des répliques du film, qui fait mal au coeur aujourd’hui quand on voit à quel point Sarajevo et la Bosnie-Herzégovine ont du mal à sortir de l’après-guerre.

Une des scènes du film se déroule dans l’amphithéâtre de l’Académie des Arts Scéniques de Sarajevo. J’ai assisté, totalement fasciné, au tournage de cette séquence au milieu des étudiants et des enseignants de cette école de cinéma. Seul sur l’estrade, Godard jouait son propre rôle et nous offrait une magistrale démonstration de la notion de champ-contrechamp. Il avait projeté sur grand écran deux photos prises en 1948. Sur l’une, on voyait des juifs heureux de débarquer sur une plage de la « terre promise ». L’autre image montrait des Palestiniens chassés vers la mer. Champ-contrechamp. Godard expliquait que, pour lui, la scène de l’arrivée en « terre promise » relevait de la fiction, alors que celle avec les Palestiniens appartenait au documentaire.
[Anecdote : j’ai failli jouer dans ce film. Un soir, après une discussion sur les Indiens d’Amérique et sur les Etats-Unis qui avaient phagocyté le terme « Américain », Godard m’a demandé si j’accepterais de figurer le rôle d’un attaché de l’ambassade de France dans une petite scène. A l’époque je travaillais effectivement à l’ambassade et Godard avait du se dire qu’avec mon costard j’avais le profil ! Mais j’ai du décliner car le jour du tournage je devais bêtement me rendre à Zagreb. C’est ainsi que ma brillante carrière de comédien s’est achevée avant même d’avoir commencé !]
